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Pourquoi “À l’Ouest rien de nouveau”, l’autre gagnant des Oscars, méritait mieux que Netflix

Un préjugé commun veut que les films sur la Première Guerre mondiale soient rares, comparés aux épais corpus de la Seconde ou du Vietnam. Préjugé assez infondé, mais qu’on assène souvent en lui accolant peu ou prou les mêmes exceptions : Les Sentiers de la gloire de Kubrick, La Grande Illusion de Renoir, et souvent À l’Ouest rien de nouveau de Lewis Milestone, première adaptation en 1930 et à Hollywood d’un best-seller allemand sorti un an plus tôt et qui racontait les désillusions d’un groupe d’amis engagés sur le front. C’était, déjà, un plaidoyer antimilitariste sur l’horreur absurde de la guerre, serti dans des scènes d’une grande violence, à une époque pré code Hays où l’on pouvait encore montrer la mort à l’écran, ce dont Milestone ne se privait pas.

Il a fallu quasiment un siècle pour que le roman d’Erich Maria Remarque soit à nouveau adapté et, surtout, le soit dans son pays et sa langue d’origine. Son metteur en scène Edward Berger a migré depuis quelques années à la télévision américaine sans s’y faire immensément remarquer (Patrick Melrose, Your Honor), avant de se retrouver à la tête de cette impressionnante machine de war movie à grand spectacle qui n’a à envier à Christopher Nolan (Dunkerque) ou Sam Mendes (1917) que leur budget (ici 20 millions, une enveloppe très modeste au vu de l’ambition).

Maniérisme morbide

Le résultat est à la fois assez convaincant, et en même temps désagréablement figé sous le glacis de son ambition esthétique. À l’Ouest rien de nouveau fait du beau avec la guerre, un beau sophistiqué quoique convenu, dès sa séquence d’ouverture faite de longs tableaux de nature gelée d’où se détachent de discrets motifs du conflit (un nuage lointain pétaradant d’explosions, une silhouette cadavérique dans la neige), maniérisme morbide qui pourrait éventuellement poser un problème moral, mais en pose surtout un d’un autre ordre : un problème d’engagement.

Si l’on n’est jamais parvenu, en rattrapant le film dans la journée suivant la cérémonie, à entrer en lui, c’est peut-être parce que son récit paraît hors d’atteinte, asphyxié sous la paroi de verre de sa pure fabrique d’images, de tropes visuels et scénographiques, et sous ses multiples coups de force de scènes d’assaut à tendance charcutière (on est comme coincé·e dans un remake perpétuel de l’intro d’Il faut sauver le soldat Ryan) qui défilent sous nos yeux comme un grand spectacle évidé, sans poids ni centre.

S’il nous a ainsi fallu remettre en arrière dix fois le film pour en reprendre la trame, c’est peut-être aussi tout simplement parce que la grande fresque malicko-ciminienne (rien que ça) qu’il semble souvent rêver d’être a besoin d’un grand écran de cinéma pour s’incarner, qu’elle méritait donc mieux que Netflix et qu’il est même un peu aberrant de ne pas la voir en salles – contrairement, sans doute, aux quelques centaines de membres de l’Académie qui lui ont remis sa myriade de prix.

À l’Ouestrien de nouveau d’Edward Berger, avec Felix Kammerer, Albrecht Schuch, Daniel Brühl Sur Netflix

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