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“Tendres Passions” avec Jack Nicholson fait son grand retour dans les salles

La ressortie en salles de Tendres Passions confirme le retour en grâce de James L. Brooks auprès de la cinéphilie française depuis une grosse dizaine d’années – en réalité, pour être précis, depuis un numéro de La Lettre du cinéma datant de 2005 dans lequel les rédacteur·trices (parmi lesquel·les Sandrine Rinaldi, Serge Bozon et Axelle Ropert) réhabilitaient brillamment l’auteur de Broadcast News ou Spanglish. Il était jusqu’alors un maître ignoré, du moins sous nos latitudes où Serge Daney, dans Libération, se gaussait en 1983 d’un “pataugas dans une vallée de larmes”, tandis que Michel Ciment, dans Positif, s’acharnait contre ce “médiocre téléfilm, sans style visuel”.

En son pays, cependant, il était bel et bien prophète : avec cinq Oscars pour son premier long métrage (dont meilleur film et meilleur réalisateur, meilleure actrice pour Shirley MacLaine et meilleur acteur dans un second rôle pour Jack Nicholson), Brooks triomphait cette année-là – raison de plus de se méfier de lui, crûrent certain·es. En plus, bien qu’étant de la même génération que les artisan·es du Nouvel Hollywood, il avait, lui, passé les années 1970 à écumer les plateaux de télévision en tant que producteur (notamment des précurseurs The Mary Tyler Moore Show et Taxi). N’en jetez pas plus. Il ne manquerait plus que son premier long métrage raconte l’histoire d’une famille texane, comme Dallas, le soap-opera le plus populaire (et vulgaire) de l’époque…

Des personnages plus bouleversant·es les un·es que les autres

La première chose qui frappe dans cette comédie dramatique, qui raconte la relation tordue entre une mère, Aurora (Shirley MacLaine) et sa fille Emma (Debra Winger), “du berceau au cercueil”, comme le dit Brooks lui-même, c’est justement son rythme feuilletonesque et elliptique. Télévisuel a priori, mais étrangement découpé – presque syncopé. On traverse une trentaine d’années de la vie des personnages, avec des accélérations brutales suivies de longs surplaces, parfois à l’intérieur même d’une scène. La routine n’a jamais le temps de s’installer. Et, parfois, un dérapage contrôlé, à l’image de celui qu’Aurora effectue avec la voiture de son amant Garrett (Jack Nicholson), vous arrache des larmes dont vous ne soupçonniez pas l’existence.

Car Tendres Passions est un des films les plus émouvants qui soient. Sa tristesse peut sembler factice et sa mise en scène facile pour qui les observe furtivement. Mais la toile humaine qui les sous-tend est un travail d’orfèvre d’une rare précision. Adapté d’un roman de l’auteur à succès Larry McMurtry (lui aussi multi-oscarisé), le scénario de Brooks travaille ses personnages à la moelle, les rendant tout à la fois aimables et piteux·euses, irritant·es et soudain désarmant·es. Flap (Jeff Daniels), le mari veule et volage d’Emma, ne serait ainsi qu’un sommet de médiocrité s’il n’était regardé avec magnanimité – qui n’empêche nullement la lucidité, la grande affaire de Brooks – et joué avec humanité, si bien qu’on finit par lui trouver, à lui aussi, des raisons. Comme le lui dit Aurora, il a au moins une qualité : “savoir reconnaître ses défauts”. Il y a là une éthique toute renoirienne, que la surprenante présence chez Aurora d’un tableau du père, Auguste, souligne inconsciemment.

Une infinité de petits gestes

L’amour chez Brooks, et dans Tendres Passions en particulier, est vachard, empoisonné, étouffant. On le comprend dès le premier plan, où une mère réveille son nourrisson pour vérifier qu’il n’a pas fait une mort subite. Et tout au long de ses deux heures et douze minutes, le film orchestrera des duels entre ses personnages qui détestent s’aimer, incapables d’exprimer normalement leurs sentiments. Jusqu’à l’explosion des 40 dernières minutes, effectivement une “vallée de larmes”, mais que Brooks arpente moins en bottes qu’en ballerines. S’il n’y a rien de flamboyant chez lui, son art, davantage minnellien que sirkien, se cristallisant par petits coups plutôt que par grands gestes, vous prend à la gorge par surprise. Et vous laisse désireux·euse d’y replonger tout de suite pour en percer les secrets.

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